Atelier ECRITURES ET PSYCHANALYSE

Abouddahab, Rédouane (Université du Mans)

“Un désir d’altérité. Transitions de Hemingway”

La lecture de Death in the Afternoon  (Mort dans l’après-midi) par Michel Leiris et la rédaction d’un compte-rendu très favorable du livre pour le compte de la NRF, lui ont inspiré l’écriture de son célèbre essai « De la littérature considérée comme une tauromachie », où il dit vouloir trouver l’« équivalent de ce qu’est pour le torero la corne acérée du taureau qui seule, en raison de la menace matérielle qu’elle recèle, confère une réalité humaine à son art, l’empêche d’être autre chose que grâces vaines de ballerine ». L’écriture autobiographique à visée non seulement testimoniale mais surtout analytique qu’inaugure Leiris dans L’Âge d’homme (précédé dudit essai), lui donne l’occasion d’affronter ses propres vérités, ou la « corne acérée du taureau » dont il doit la conception métaphorique à Hemingway. Celui-ci n’a pas écrit d’autobiographie, mais ses romans et nouvelles peuvent être conçus comme une fictionnalisation de son vécu, dans le sens d’une mise à nu de ses failles, de ses obsessions, de ses désirs les plus intimes ou encore de ses lâchetés…, avec une exigence de vérité tranchante.

Ainsi peut-on, en un premier temps, s’intéresser aux formes que prennent dans l’œuvre la mise à nu puis l’objectivation de cette altérité intrinsèque. Il conviendra cependant de pousser l’analyse plus loin encore et se demander si la fréquentation quotidienne du « monde » de l’écriture fait passer l’écrivain par des transitions éthiques importantes, l’amenant à s’ouvrir, dans ce cas précis, sur l’altérité extrinsèque. L’analyse de ces deux formes d’altérité et les manières dont elles se nouent et se dénouent dans le texte, s’appuiera sur un éclairage non seulement psychanalytique mais également anthropologique, notamment en ce qui concerne le parcours « africain » de Hemingway.

Rédouane Abouddahab est Professeur de littérature nord-américaine moderne et contemporaine à l’Université du Mans. Il a consacré plusieurs travaux à Hemingway, mais aussi à d’autres artistes et écrivaines et écrivains nord-américains, dont il éclaire les œuvres avec un outillage conceptuel psychanalytique articulé avec le poétique et l’anthropologie de l’altérité et de la transculturalité.  

Banaré, Eddy (Université de la Nouvelle-Calédonie)

“Déwé Gorodé traductrice de Grace Mera Molisa : (re)construction d’une solidarité océanienne”

En 1997, Déwé Gorodé revient à la poésie en traduisant une sélection d’œuvres de la poétesse vanuataise Grace Mera Molisa. Ce retour au genre poétique, qu’elle avait délaissé au profit de la fiction entre 1994 et 1996 avec deux recueils de nouvelles, marque une étape charnière dans sa trajectoire littéraire et politique. La traduction de poèmes issus des recueils Black Stone I et II ainsi que Local Global, semble préparer Gorodé aux responsabilités qu’elle assumera dès 1999, en devenant membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Dans la préface de cette anthologie, sobre et engagée, Déwé Gorodé souligne : « Cette traduction est d’abord un témoignage et une modeste contribution au combat de Grace, celui des femmes du Vanuatu, du Pacifique et d’ailleurs. » Cet acte de traduction dépasse donc le simple geste littéraire pour s’inscrire dans un projet politique plus large, orienté vers la solidarité océanienne et l’émancipation des femmes. Cette communication se propose, dans un premier temps, d’étudier en parallèle les trajectoires croisées de Déwé Gorodé et Grace Mera Molisa, deux figures majeures de la littérature et de l’engagement océanien. Dans un second temps, elle analysera les choix de poèmes opérés par Gorodé et leurs implications. Nous montrerons comment cette sélection s’inscrit dans une vision programmatique où littérature et politique se rencontrent pour construire un espace de solidarité féministe et océanienne.

Eddy Banaré est enseignant-chercheur en littératures coloniales postcoloniale, imagologie et représentations, à l’Université de Nouvelle-Calédonie, et membre de l’Unité de Recherche Troca. Après avoir soutenu une thèse sur les représentations littéraires de l’industrie minière en Nouvelle-Calédonie, Eddy Banaré a enseigné le FLE à Fidji (Alliance Française et University of the South Pacific) ainsi que dans le secondaire en Nouvelle-Calédonie. Spécialisé en littérature comparée, il mène des recherches sur les relations entre presse et expressions littéraires. Une version remaniée de sa thèse a été publiée en 2012 sous le titre Les récits du nickel en Nouvelle-Calédonie (1853-1960) (Honoré Champion, Collection Francophonies). Eddy Banaré a publié de nombreux essais et dirigé et co-dirigé plusieurs ouvrages, dont Les récits du nickel en Nouvelle-Calédonie (Paris/Genève, Honoré Champion, coll. « Francophonies », 2012), ou, avec G. Murphy et L. Lagarde, Le ciel de l’exil. Autobiographie poétique de Marius Julien, forçat de Nouvelle-Calédonie (Nouméa, Presses universitaires de la Nouvelle-Calédonie, 2020).

Bataillard, Pascal (Université Lumière-Lyon 2)

“Joyce et Wolfson en transit. Wolfson, Le Schizo, avec Joyce en regard”

Il s’en est allé tout autrement pour Joyce que pour Wolfson. Joyce dont le nom n’est pas au premier chef convoqué ici pour montrer en quoi lui aussi connut le toujours trop long “purgatoire de la reconnaissance littéraire”. Métaphore morte sans doute mais, depuis Dante au moins, le purgatoire fut défini comme zone grise pour des âmes en souffrance et imaginé comme espace et temps de transition avant l’accession au paradis. Il fallut Beckett, mettant sa plume au service de ce qui deviendrait à parution Finnegans Wake, pour considérer ce purgatoire (celui de Dante, mais peut-être celui de l’existence), comme intéressant, moins que l’enfer toutefois ! Il s’agit bien de suggérer que toute la vie d’écriture de Joyce fut son lieu de vie essentiel, entreprise infinie de métamorphoses, de gésine et de transition, s’inscrivant  très largement pour sa dernière partie, ce work in progress semblant interminable, dans l’époque définie par la parution de la revue Transition (1927-1938).

Ce rappel me semble nécessaire pour situer Louis Wolfson et Le Schizo et les langues, pour pointer précisément en quoi les procédés de traduction quasi-instantanée élaborés par Louis Wolfson constituèrent un préalable nécessaire à son activité d’écriture. Ce temps d’élaboration était en effet requis pour se forger comme sujet et s’envisager comme écrivain. Il lui fallait délimiter un espace de transition pour, littéralement, créer une safe zone, lui permettant de mettre à distance la jouissance maternelle identifiée à la langue anglaise menaçant de l’envahir. Ce n’est qu’ensuite que vint l’écriture de son récit lui permettant de soumettre en 1963 le manuscrit du Schizo à un éditeur français, Gallimard, et de voir publier Le Schizo et les Langues sept ans plus tard. Ces “sept ans de réflexion” furent marqués par des débats internes chez l’éditeur mais devenant publics après des publications partielles en revue. Ces guerres de sept ans définirent inévitablement la réception du texte publié en 1970. Que reste-t-il de ce « moment Wolfson », comme le nomme François Cusset et qu’en est-il du statut d’ écrivain de Wolfson un demi-siècle plus tard ?

Pascal Bataillard est enseignant-chercheur à l’Université Lumière-Lyon 2, où il enseigne littérature et traduction. Sa recherche porte aujourd’hui sur Joyce et des auteurs et autrices irlandaises des 20e et 21e siècles ou la problématique ‘folie et écriture’, ainsi que sur des questions liées à la traduction, l’adaptation et la ré-écriture, aux croisées des champs littéraires, psychanalytiques et philosophiques.

Daanoune, Karim (Université Paul-Valéry Montpellier 3)

“From Speaking to Listening: Bell’s Trauma in Cormac McCarthy’s No Country for Old Men

This talk focuses on Cormac McCarthy’s No Country for Old Men (2005) and more specifically on its main character Sheriff Ed Tom Bell. The novel features Bell’s monologues as prologues to the chapters where the narrative proper unfolds. In their very prolixity, it is quite striking that Bell mentions twice things that he explicitly doesn’t want to address, namely, the loss of his daughter (iv-90) and the war (vii-195). Although the two are related for in both cases they imply a father figure (Bell lost all the men of his battalion), I will mainly concentrate on Bell’s war trauma which is intricately connected to the notion of listening and hearing, and I’d like to argue that hearing is to be understood as a means to make present Bell’s predicament in the here (and now) of the narrative. To do so, I will examine how McCarthy demands that his readers be attentive listeners to hear Bell’s trauma in the narrative, mostly but not solely, when the latter is involved in communication over the phone. Formally speaking then, everything tends to suggest that a certain type of reading attention is required, an attention, that I would call acoustic, that is inscribed in the reading contract. Indeed, the aural traces of the trauma thus heard, I will look at the crucial meeting taking place between Bell and Uncle Ellis who becomes a father figure ready to lend an ear and to teach his nephew how to listen. I will in fact consider Bell’s trauma as one defined by acoustic transmission from which Uncle Ellis helps him work through. Ultimately, I also want to show how the logorrheic monologues gradually wane and disappear to become incorporated dialogically into the main narrative, therefore fusing external and internal plot, so to speak, in the very same way the ear blurs the boundaries between what is outside and what is inside. My contention is that McCarthy wishes to transition from a logic of seeing (a ubiquitous theme in the novel) to one of listening both at diegetic and metadiegetic levels.  

Karim Daanoune is Associate Professor in Contemporary American Literature at University Paul-Valéry Montpellier 3, France. His research centers on contemporary American literature which includes Arab American and Arab Canadian writing. His work is concerned with the intersection between poetics, ethics and politics. Lately, he has been focusing his attention on the notion of “Listening” in/to literature. He is a member of the editorial board of the online journal Transatlantica, a publication of the French Association for American Studies (AFEA). 

Lainé Forrest, Éléonore (Université de la Nouvelle-Calédonie)

“Voix.es de femmes dans la littérature du Pacifique anglophone et francophone Dépassement et résistance dans l’écriture de Tara June Winch, Noëlla Poemate, Sia Figiel et Titaua Peu”

Ces vingt dernières années ont vu la multiplication de voix résistantes d’auteures de fiction issues des peuples premiers du Pacifique anglophone et francophone, faisant apparaître des regards inédits sur cette mer d’îles trop souvent réduite à cet ailleurs insignifiant, soit parce que considéré comme l’appendice de l’hémisphère boréale, soit du fait de sa petitesse et apparente pauvreté. Recourant à un réalisme magique nourri par les esprits de leurs différentes cultures, elles donnent alors à voir la position des femmes au travers de peintures, sans complaisance, d’un centre anthropocénique qui détruit environnement et premières nations du Pacifique, mais aussi la voie de la résistante qu’elles choisissent aujourd’hui de fouler fièrement. En se concentrant sur Song of the Crocodile (2020) de Nardi Simpson (Australie); les nouvelles rassemblées dans le recueil Olé, Oléti (2011), de Noëlla Poemate (Nouvelle-Calédonie), Mūtismes (2003) de Titaua Peu (Polynésie), et Where we Once Belonged (1999) de Sia Figiel (Samoa), ce travail propose de jeter la lumière sur les liens qui se tissent entre ces différentes écritures. Comment ces auteures s’emparent de la nature pour faire entendre la voix des anciens, inscrite dans un inconscient maltraité, aux symptômes de plus en plus agressifs et condamnant les femmes autochtones à une double peine? De quelle manière fustigent-elles le patriarcat sous ses différentes formes, de ses expressions les plus anciennes à sa modernité capitaliste, ainsi que son action postcolonisante (Moreton Robinson)? Et enfin comment détournent-elles l’idiome fiction pour y faire jaillir une autre voix.e, au-delà d’un différend qui sépare (Lyotard), que l’on voit se dessiner dans ces entrailles au féminin. C’est à ces différentes questions que ce travail proposera d’apporter des pistes de réflexion. 

Eléonore Lainé Forrest est une enseignante-chercheuse franco-australienne basée à l’Université de la Nouvelle-Calédonie, où elle est membre du laboratoire Trajectoires d’OCéAnie (TROCA) et responsable de la filière Études anglophones (LLCER Anglais), après avoir dirigé le département de Lettres, Langues et Sciences Humaines pendant plus de quatre ans. Spécialiste des écritures de fiction contemporaine australiennes et américaines, elle travaille essentiellement sur les concepts de temps long et temps court, ainsi que sur les espaces dans lesquels ces temps s’inscrivent. Elle a publié plusieurs études dans ce domaine. À l’heure actuelle, elle étudie les notions de centre et de marge, et éclaire les mécanismes des sociétés (post)coloniales et leurs effets destructifs sur les êtres vivants (peuples premiers, minorités, femmes, non-humains) et la Terre, tels qu’ils apparaissent dans la littérature australienne. Ainsi, elle œuvre à la mise en lumière des stratégies qu’emploie cette fiction pour révéler les nouvelles formes de domination du monde dit moderne.

Masmoudi, Aya (Université du Mans)

“From Mourning to Melancholia: Transitions in Khalil Gibran’s The Madman

This paper investigates how mourning, melancholia, and transitions converge and evolve in Khalil Gibran’s The Madman. Indeed, through his collection of prose poems and parables, the Arab-American writer of Lebanese origin delves into the complex emotions of loss and inner contemplation, presenting a poetic journey through the fragmented psyche of the speaker, who calls himself a “madman”. Drawing on Freudian and Lacanian psychoanalytic theories, particularly the notions of mourning and melancholia, this paper examines the speaker’s emotional and spiritual transformations, tracing his journey through despair, self-reclamation, and enlightenment. In Gibran’s work, these transitions manifest not only as thematic elements but also as structural shifts, moving between personal grief and collective awareness, fragmentation and unity. By focusing on these transformative shifts, this paper reveals how The Madman articulates a nuanced vision of human resilience and creative awakening amidst profound existential crises.

Aya Masmoudi is a PhD student at Le Mans University, under the supervision of Dr. Rédouane Abouddahab. Her thesis is entitled: The transcultural subject: Poetics, ethics and politics in the works of Gibran and Rihani, two Arab-American writers of the first generation (1910-1930).

Pelleter, Maëla (Université du Mans)

“Corps et identités en transition : étude du transfert du désir dans The Garden of Eden d’Ernest Hemingway”

Dans son roman The Garden of Eden, publié à titre posthume en 1986, Ernest Hemingway fait évoluer les personnages de Catherine et David Bourne dans un espace fantasmatique où les corps et les désirs deviennent le théâtre d’une mutation profonde. Les protagonistes incarnent l’être aimé tel que le décrit la psychanalyse : ambivalent et mixte, composé à la fois de sa présence extérieure et de son double interne. Par le truchement de la relation de Catherine et David, Hemingway explore la manière dont l’amour opère une jonction inconsciente, un alliage de signifiants qui sera vivifié par la force du désir partagé par les sujets, faisant écho à ce que Montaigne écrit dans Les Essais : « Si l’on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant :  ‘‘Parce que c’était lui ; parce que c’était moi.’’ ».

Cette métamorphose, ou plutôt, cette transition empreinte d’étrangeté dans le texte, se traduit par la féminisation du corps masculin et la masculinisation du corps féminin, illustrant une quête de fusion avec l’Autre qui sera vouée à l’échec puisqu’elle ne pourra être qu’esthétique et ne permettra pas son incarnation parfaite. Dans cette communication, nous verrons comment ce fantasme tente de protéger les protagonistes du chaos pulsionnel et met en lumière le rejet du réel dans lequel une part de l’aimé reste inconnue et insaisissable.

Maëla Pelleter est doctorante à l’Université du Mans. Elle prépare une thèse intitulée Obscure clarté. Désir et divertissement dans l’œuvre de Hemingway. Une lecture psychanalytique et philosophique, sous la direction de Rédouane Abouddahab.

Soula, Virginie (Université de la Nouvelle-Calédonie)

“La « place » des femmes. Relations à l’espace des personnages féminins dans une sélection de nouvelles d’auteures du Pacifique”

Entre les années 1950 et 1970, les femmes autochtones du Pacifique insulaire sont entrées en écriture, le plus souvent par la voie poétique, dans un champ littéraire largement dominé par les hommes. Elles y occupent désormais une place prééminente et s’imposent notamment dans la fiction. Ma communication s’intéressera en particulier à la nouvelle, un genre littéraire singulièrement investi par les écrivaines océaniennes. Celui-ci relie en effet l’ancienne et la nouvelle génération d’auteures dont les voix et les œuvres tressent une vaste natte littéraire. Nous nous proposons donc d’interroger « la place » – ou plutôt les places – des femmes dans quelques nouvelles d’auteures kanak, tahitienne et māorie. Cette notion de « place(s) » ne sera pas envisagée comme l’assignation de la femme à demeurer dans un espace ou un rôle défini. Il s’agira bien d’interroger les rapports des personnages féminins aux différents espaces (qu’ils soient géographiques, sociaux ou imaginaires) développés par la fiction.

Virginie Soula est Maître de conférences à l’Université de la Nouvelle-Calédonie. Docteure en Lettres Modernes, elle s’est spécialisée dans la littérature francophone de la Nouvelle-Calédonie et de l’Océan Pacifique. Elle a publié plusieurs travaux sur le Pacifique francophone. Elle est notamment auteure d’une monographie sur l’histoire littéraire en Nouvelle-Calédonie : Histoire littéraire de la Nouvelle-Calédonie (1853-2005), parue aux Éditions Karthala, Paris, 2014.  Elle est membre de l’Unité de Recherche TROCA (Université de la Nouvelle-Calédonie).