Béligon, Stéphanie
Professeure, Université Savoie Mont Blanc (USMB) (LLSETI (EA 3706)
Les comparaisons dans The Turn of the Screw : transitions d’une conscience en roue libre ?
La narratrice du Tour d’écrou fait le récit de son séjour à Bly, où elle est embauchée pour s’occuper des jeunes Miles et Flora. Elle croit rapidement y voir les fantômes de deux anciens domestiques. Convaincue que, de leur vivant, ses prédécesseurs ont « corrompu » les deux enfants, encore sous leur emprise, elle s’assigne la mission de pousser Miles et Flora aux aveux.
Dans ce roman où rien ne paraît certain, à commencer par la présence des fantômes (sont-ils le fruit de l’imagination de la gouvernante ? Communiquent-ils avec les enfants ?), je m’intéresserai à la comparaison comme figure de style (« Peter Quint had come into view like a sentinel before a prison »), ainsi qu’à la comparaison grammaticale (comparatifs et superlatifs).
La comparaison, en confrontant deux entités ou deux situations, est l’outil d’une transition : transition d’une idée à un autre, d’une représentation à l’autre, d’un univers à l’autre (« […] I had the view of a castle of romance inhabited by a rosy sprite, such a place as would somehow […] take all colour out of story-books and fairy-tales »). Dans le roman, la comparaison tourne à l’aporie (« Nothing was more natural than that these things should be the other things they absolutely were not ») : elle constitue une transition sans issue, qui n’aboutit à rien qu’il soit possible de cerner.
En raison des transitions qu’elles impliquent, les comparaisons mettent au jour les processus cognitifs de la gouvernante, qui virent à l’obsession. Bien que les marqueurs de comparaison as (if) et like signalent que comparant et comparé sont distincts, les analogies à l’œuvre introduisent un doute sur cette distinction au point que celle-ci s’estompe et révèle le fonctionnement d’une conscience en roue libre. Le « comme (si) » permet à la narratrice de ne pas assumer ses représentations mentales, telles que celles qu’elle se fait de ses relations avec le petit Miles (« We continued silent while the maid was with us — as silent […] as some young couple who, on their wedding-journey […] feel shy in the presence of the waiter »).
D. Lapoujade souligne que H. James dépeint non le monde vu par une conscience, mais une conscience qui voit le monde : dans The Turn of the Screw, les comparaisons, par les transitions qui les sous-tendent, laissent entrevoir le travail d’une conscience qui masquent ses biais.
Références
Chouvier, Bernard. 2004. « Soufffrance traumatique, imagos parentales et transgénérationnel. Henry James et le fantôme de Peter Quint ». Cahiers de psychologie clinique 2004/2 23, 83-130.
Cross, Mary. 1993. Henry James: The Contingencies of Style. Houndmills, Basingstoke, London: Macmillan.
Danon-Boileau, Laurent, Morel, Mary-Annick. 1995. Faits de langues 5. La comparaison. Paris : Ophrys.
France Culture, « Deleuze et la littérature. » « Épisode 2/4 : Henry James, l’art du secret », Les Chemins de la philosophie, 6 décembre 2016, https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-chemins-de-la-philosophie/henry-james-l-art-du-secret-2773956
James, Henry. 2021 (1898). The Turn of the Screw. Norton Critical Editions.
Heboyan, Esther (dir. ). 2010. La Figure de la comparaison. Arras : Artois Presse Université.
Lapoujade, David. 2008. Fictions du pragmatisme : William et Henry James. Paris : Les Editions de Minuit.
Laufer, Laurie. 2006. « Le tour d’écrou, scandale et énigme du sexuel », Cliniques méditerranéennes, 2006/2 74, 125-141. DOI : 10.3917/cm.074.0125. URL : https://www-cairn-info.univ-smb.idm.oclc.org/revue-cliniques-mediterraneennes-2006-2-page-125.htm
Le Run, Jean-Louis, « Anges ou démons : jeux de regards dans Le tour d’écrou d’Henry James », Enfances & Psy, 2008/4 41, 106-122. DOI : 10.3917/ep.041.0106. URL : https://www-cairn-info.univ-smb.idm.oclc.org/revue-enfances-et-psy-2008-4-page-106.htm
Lewis, Pericles. 2005. ‘“The Reality of the Unseen”: Shared Fictions and Religious Experience in the Ghost Stories of Henry James’. Arizona Quarterly 61 2, 33-66.
Poulet, Georges, 1961. Les Métamorphoses du cercle. Paris : Librairie Plon.
Rebekah Scott. 2021. ‘“The dreadful done”: Henry James’s style of abstraction’. Textual Practice, 35 6, 941-966, DOI: 10.1080/0950236X.2021.1936773
Todorov, Tzvetan. 1971. Poétique de la prose. Paris : Editions du Seuil.
Benoit à la Guillaume, Luc
Professeur, Université de Rouen
ERIAC (UR 4705)
La transition dans les discours des présidents américains ou l’euphémisation du changement
Cette communication propose d’étudier les emplois du mot « transition » dans les discours des présidents américains à partir de la base de données de l’American Presidency Project. On s’attachera à repérer l’évolution de l’emploi du terme et ses liens avec les différentes formes d’euphémisation du changement. Il s’agit parfois de minimiser les risques liés au changement, comme lors de la transition entre l’économie de guerre vers l’économie de paix ou la transition entre deux présidences, qui doit être maîtrisée afin d’éviter le désordre. C’est parfois l’ampleur du changement envisagé qui est minimisé, comme lorsque la transition démocratique masque la demande d’un changement de régime étranger. Le mot « transition » peut enfin servir à minimiser les difficultés liées au changement espéré, dans les domaines de l’énergie ou du climat.
Blanchard, Maxime
Doctorat, Université Bordeaux-Montaigne
CLIMAS
maxime.blanchard@u-bordeaux-montaigne.fr
De one à you, vers une re-subjectivisation de nos pronoms impersonnels ?
Contrairement aux pronoms personnels, dont le référent est présumé défini et récupérable sans équivoque, les pronoms qu’on dit «impersonnels» permettent de convoquer une personne grammaticale (souvent la troisième ou la deuxième) tout en maintenant un certain degré d’indétermination qui constitue une sorte de floutage, un certain effacement de la personne à laquelle un énonciateur réfère effectivement. En anglais comme en français, les usages impersonnels du pronom de la deuxième personne ont gagné une part qui ne semble cesser de croître dans nos interactions. Mais si en français le pronom indéfini on semble toujours aussi prolifique, force est de constater que le pronom indéfini historique de l’anglais, one, semble se raréfier dans les échanges à l’oral.
Les pronoms impersonnels fonctionnent aussi comme des marqueurs de registre. En anglais contemporain, tandis que one est volontiers associé à des formes de discours formelles et analytiques, en instanciant une personne théorique représentative de toute autre dans une situation prédiquée, le pronom you s’impose quant à lui comme le marqueur de l’interlocution, le révélateur fondamental d’un dialogue. Dans son emploi impersonnel, you conserve cette propriété interpellative. Dans ses usages indéfinis, le pronom force une manière d’empathie cognitive ou émotionnelle, en invitant l’autre à se situer dans l’expérience ou l’état de fait évoqué. De son côté one prédique l’existence d’une personne tierce, située en dehors de l’interlocution. Par sa nature même, one est objectivant, là où you est foncièrement (inter)subjectivant. On semble constater une tendance, en anglais contemporain, de raréfaction des usages à l’oral du pronom one et de prolifération des emplois impersonnels du pronom you. Cette conférence se propose d’explorer si cette tendance marque une véritable transition dans les attentes relatives au registre qui gouvernent nos interactions. Nous nous intéresserons à cette évolution par le prisme d’un corpus littéraire composé de six romans écrits dans les années 1910 à 2010 afin de nous demander si ce remplacement d’un pronom par l’autre marque un délaissement progressif de la distance énonciative, socio-interactionnelle que permet le pronom one vers plus de connivence et de stratégies de politesse positive que permet de faire apparaître, par son caractère fondamentalement interactionnel, le pronom you ?
Bourdeau, Marion
MCF, Université Jean Moulin Lyon-3
IETT EA 4186
Fostering character and narrator growth: a summer of transition in Claire Keegan’s Foster
Foster (Claire Keegan, 2010) is a 87-page novella about a summer of transition for its characters and most importantly for its protagonist, a girl whose parents leave with her aunt and uncle – whom she has never seen – for the summer. The novella is about this suspended but transitory moment the girl – who is the protagonist, the narrator and the reflector of the story – spends between two couples with very different parenting styles, between two social classes, but also between two ages of life as she changes and grows into another person during that summer.
This talk aims to analyse the double transition expressed through the novella: on the one hand, the transition experienced by the girl – who is not aware of this process – at the level of the plot and told through a child’s perspective; on the other, the transition which occurs in the narrator-focaliser’smindstyle and which reflects her evolution as a character.
I will first study how, at the beginning of the text, the narrative voice translates a form of powerlessness or of lack of agentivity which has to do with the choice of a child reflector and narrator. However, I will then argue that as the novella unfolds, and as the girl morphs from the child she was before arriving at her aunt and uncle’s to the one she grows into, it is possible to notice changes in her mindstyle. These changes reflect how she transitions into a more confident person, which is translated in the fact that as a narrator, she gradually seems to gain more and more control over the text. Finally, I will analyse the transition in the readers’ positions: in the first half of the text, they may oscillate between distance – as their adult intellect and perspective allow them to clue in on some details well before the girl does – and proximity – as the text relies on affect to create sympathy and compassion for the child, as well as a sort of admiration for her lucidity. By the end of the book however, the changes in the girl’s mindstyle help this phase of oscillation come to an end, and encourage the transition of the readers’ positions towards shared affect and proximity with the protagonist.
Cavalié, Elsa
MCF, Avignon Université
Laboratoire ICTT UPR4277
Transitions génériques dans les réécritures de l’épopée homérique en langue anglaise
Parmi très nombreuses réécritures de l’Iliade et de l’Odyssée dans la littérature contemporaine anglophone, le genre épique semble avoir été abandonné, au profit de réécritures de type poétique (Alice Oswald, Kae Tempest, Carol Ann Duffy), romanesque (Pat Barker, Madeline Miller, Claire North) ou bien encore de nouvelles (Nina McLaughlin). On peut alors se poser la question de la transition du genre épique vers ces nouveaux genres, apparemment d’avantage adaptés à une réception contemporaine. Les caractéristiques de l’épopée sont-elles totalement effacées ou existe-t-il des éléments de continuité travaillant de pair avec la rupture générique ? Selon les genres nouvellement adoptés (poésie, fiction), les éléments ayant effectué la transition du classique au moderne sont-ils les mêmes ? Peut-on retrouver des formes d’oralité et la centralité de la voix dans des réécritures majoritairement destinées à être lues, et non entendues ?
Afin de répondre à cette question, j’étudierai plusieurs scènes de l’Iliade et de l’Odyssée ainsi que leur transposition dans la littérature contemporaine afin d’esquisser des éléments de recatégorisation générique.
Chapuis, Sophie
MCF, Université Jean Monnet, Saint-Etienne
Laboratoire ECLLA
Sans transition aucune, la prose/poésie désarticulée de Noah Eli Gordon
« The future of writing is not writing ». Voilà ce que le poète américain Kenneth Goldsmith clame dans son essai Theory publié en 2015. Si le futur de l’écriture ne réside pas dans l’écriture, c’est parce que l’acte d’écrire, à l’ère digitale, est plus volontiers citationnel et confine souvent à l’emprunt, au collage, voire à l’appropriation pure et simple. Le traitement de texte a littéralement induit un renouveau des formes littéraires car il permet le déplacement facile de données d’une source vers une autre ; un procédé de copier-coller qu’adopte à dessein le poète américain Noah Eli Gordon dans un récit de soi qu’il livre en 2006 et intitule Inbox, a Reverse Memoir. Ce mémoire se présente sous la forme d’un unique paragraphe de 70 pages composé de la somme copiée-collée des emails reçus par l’auteur, à la date du 11 septembre 2004. Le tout suit une chronologie inversée, telle que présentée par son système d’exploitation de messagerie. En faisant le choix de s’écrire à travers d’autres, Gordon fait entrer en collision un nombre infini de voix inconnues qui forment un non-récit délibérément chaotique et désarticulé, une somme sans liant ni transition interrogeant de manière puissante le paradigme autobiographique à l’ère contemporaine. Comment prendre le temps de s’écrire dans le fracas du réel et l’accélération de la communication, la temporalité de l’email étant celle de l’urgence et de la demande pressante ? Optant pour une forme totalement indigeste et illisible, le poète devient ironiquement celui qui n’est plus même capable d’articuler 24 heures de sa propre vie, déléguant à d’autres et à la machine l’entreprise rétrospective au fondement même de toute entreprise mémorielle. Ce faisant, le poète nous donne à voir l’impossibilité d’articuler un réel qui se déchaîne et fait disparaître la subjectivité du « je » autobiographique pour donner naissance à un « tu » profondément relationnel qui se lit entre et à travers les autres.
Digonnet, Rémi
MCF, Université Jean Monnet de Saint-Étienne
ECLLA
remi.digonnet@univ-st-etienne.fr
“She saw what he saw. She saw the towers” (Falling Man, Don DeLillo). L’évidentialité comme modèle linguistique et cognitif d’une transition sensible.
Le domaine sensible se fait naturellement l’écho d’une connaissance du monde. La perception sensible apparait comme le relais transitoire privilégié de l’accès à la connaissance du monde environnant. Néanmoins, cette connaissance demeure éphémère et subjective. En effet, comment peut-on rendre l’évidence, la preuve de quelque chose qui n’existe plus ? L’étude discursive de la transition sensible par des stratégies évidentielles dans Falling Man de Don DeLillo (2007) interrogera le mode sensible d’accès à l’information et son rapport au réel. Outre les verbes de perception qui composent l’immense majorité de l’expression évidentielle, d’autres formules existent pour signifier l’évidentialité, qu’elles soient adverbiales (apparently), nominales (hearsay) ou encore propositionnelles (the rumour has it that…). Cependant, l’évidentialité reste essentiellement caractérisée par le recours aux verbes de perception : « Sans surprise les verbes de perception forment la base du développement de marqueurs d’évidentialité directe » (Barbet et Saussure, 2012 : 8). Chaque typologie des verbes de perception demeure pertinente et utile pour apprécier l’évidentialité selon qu’elle insiste sur i) l’agentivité, entre les verbes agentifs, les verbes non-agentifs ou les verbes évidentiels (Miller, 2008), ii) l’orientation, entre les verbes orientés vers le sujet et agentifs, les verbes orientés vers le sujet et non agentifs et les verbes orientés vers l’objet (Whitt, 2010), iii) la classe, entre les ‘listen-class verbs’, les ‘hear-class verbs’ et les ‘sound-class verbs’ (Gisborne, 2010) ou encore iv) le mode, entre les différents verbes, qu’ils soient de production, d’expérience ou d’acquisition (Huddleston et Pullum, 2002). Trois grilles de lecture, sémantique, lexicale et syntaxique, permettront de mieux appréhender la nature évidentielle, apparemment fidèle mais souvent trompeuse, des verbes de perception dans Falling Man de Don DeLillo (2007).
Références
DeLillo, D. (2011), Falling Man, London : Picador.
Aikhenvald, A. Y. (2004), Evidentiality, Oxford : Oxford University Press.
Anderson, L. B. (1986), Evidentials, paths of change, and mental maps : typologically regular asymmetries.
Barbet, C. et Saussure, L. de (2012), « Présentation : modalité et évidentialité en français », Langue française 173, Paris : Armand Colin, 3-12.
Boulonnais, D. (2010), « Verbes de perception et mode de complémentation verbale », in Khalifa J-C. et Miller P. (eds), Perception et structure linguistiques. Huit études sur l’anglais, Rennes : Presses Universitaires de Rennes.
Chafe, W. (1986), “Evidentiality in English conversation and academic writing”, in Chafe W. et Nichols J. (eds), Evidentiality : The Linguistic Coding of Epistemology, Norwood (NJ) : Ablex, 261-272.
Coltier, D., Dendale, P. et De Brabanter, P. (eds) (2009), Langue française 162, La notion de prise en charge : mise en perspective, Paris : Armand Colin.
De Haan, F. (1999), “Evidentiality and epistemic modality: Setting boundaries”, Southwest Journal of Linguistics 18, 83-101.
DeLancey, S. (2001), “The mirative and evidentiality”, Journal of Pragmatics 33, 369-382.
Dendale, P. et Coltier, D. (2003), « Point de vue et évidentialité », Cahiers de praxématique 41, 105-129.
Gisborne, N. (2010), The event structure of perception verbs, Oxford : Oxford University Press.
Guentchéva, Z. (1994), « Manifestations de la catégorie du médiatif dans les temps du français », Langages 102, 8-23.
Huddleston, R., et Pullum, G. K. (2002), The Cambridge Grammar of English Language, Cambridge : Cambridge University Press, 1-23.
Mélac, E. (2014), « L’évidentialité en anglais – approche contrastive à partir d’un corpus anglais-tibétain », thèse de doctorat, Université de la Sorbonne nouvelle Paris III.
Mignot, E. (2016), Linguistique anglaise, Paris : Armand Colin.
Miller, P. (2006), Perception verbs : A case study in lexical semantics and complementation, Paris ENS Ulm : Ealing.
Palmer, F. (1986), Mood and modality, Cambridge : Cambridge University Press.
Whitt, R. J. (2010), Evidentiality and perception verbs in English and German (Vol. 26), Bruxelles : Peter Lang.
Willett, T. (1988), “A Cross-Linguistic Survey of the Grammaticization of Evidentiality”, Studies in language 12, 51-97.
Iché, Virginie
MCF, Université Paul-Valéry Montpellier 3
Etudes Montpelliéraines du Monde Anglophone
The pragmatics of failed repair in mockumentary sitcoms: from interactional rifts to smooth transitions
Repair constitutes one of the conversational tools speakers have at their disposal 1) to reestablish the proper course of an interaction when it has gone wrong because something has been mispronounced, misheard or misunderstood, or 2) to preempt any potential interactional issue that may arise in conversation (Schegloff, Jefferson, Sacks 1977). Repair is therefore used to ensure transitions within turns or between turns go smoothly. But what happens when repair fails?
Repair has been said to fail very infrequently in naturally-occurring conversations (Schegloff 1979, Schegloff 2000, Wilkinson 2007). The (few) elements implicitly pertaining to repair failure in the literature point to an operational understanding of the phenomenon, i.e., an identification of repair failure based on the specific operation carried out by the speaker, with notably Schegloff (2013) associating the operation he calls ‘aborting’ with the idea of ‘abandoning’ repair. One can therefore conjecture that operational failure of repair (namely with a speaker ‘aborting’ the repair-initiation or repair-completion) will systematically lead to the opposite of a smooth transition within a turn or between turns, i.e., breaches in turns and rifts in interaction.
This talk will analyze the impact of failed repair on transitions within turns or between turns in the context of mockumentary sitcoms (The Office UK, The Office US, Parks and Recreation, Abbott Elementary). In ‘telecinematic discourse’ (Piazza, Bednarek, Rossi 2011), two communicative levels have to be identified: character-to-character interaction (called Communication Level 2 by Brock 2015, henceforth CL2) and collective sender-to-audience interaction (called Communication Level 1 by Brock 2015, henceforth CL1). I will show that on CL2, while operational failure of repair can (and does) lead to within-turn breaches and between-turn rifts, it is not systematically the case. The operation I call ‘searching and coming up with a vague term’ (which may be associated with failed or at least partially failed repair) successfully repairs the interaction in several cases, thereby facilitating the transition from one turn to the other. An operational analysis of failed repair thus proves to be insufficient to grasp the full nature of failed repair, underscoring the need for a pragmatic approach to the phenomenon. Moreover, a multimodal pragmatic analysis of (failed) repair sequences in those mockumentary sitcoms shows that while repair may fail on CL2, the ‘collective sender’ (Dynel 2011) steers the audience towards humorously reframing the interaction under repair—thereby facilitating the transition of meaning from CL2 to CL1.
References
Brock, Alexander. 2015. “Participation frameworks and participation in televised sitcom, candid camera and stand-up comedy”. Marta Dynel and Jan Chovanec, eds. Participation in Public and Social Media Interactions. John Benjamins, pp. 27-47.
Dynel, Marta. 2011. “‘You talking to me?’ The viewer as ratified listener to film discourse”. Journal of Pragmatics 43: 1628-1644.
Schegloff, Emanuel, Gail Jefferson and Harvey Sacks. 1977. “The preference for self-correction in the organization of repair in conversation”. Language 53(2), pp. 361-383.
Schegloff, Emanuel. 2013. “Ten operations in self-initiated, same-turn repair”. Makoto Hayashi, Geoffrey Raymond and Jack Sidnell, eds. Conversational repair and human understanding, Cambridge University Press, 41-70.
Schubert, Christoph. 2019. “The visual discourse of shots and cuts. Applying the cooperative principle to horror film cinematography”. Christian Hoffmann and Monika Kirner-Ludwig, eds. Telecinematic Stylistics, Bloomsbury, pp. 183-204.
Tzanne, Angeliki. 2000. Talking at Cross-Purposes. The Dynamics of Miscommunication. John Benjamins.
Wildfeuer, Janina. 2014. Film Discourse Interpretation. Towards a New Paradigm for Multimodal Film Analysis. Routledge.
Wilkinson, Ray. 2007. “Managing linguistic incompetence as a delicate issue in aphasic talk-in-interaction: On the use of laughter in prolonged repair sequences”. Journal of Pragmatics 39: pp. 542-569.
Lacaze, Grégoire
MCF HDR, Aix Marseille Université
LERMA
La construction identitaire par l’activation d’un ethos socionumérique : transition entre intimité et extimité
Les plateformes technologiques des réseaux socionumériques (RSN) encouragent les contributeurs à poster très régulièrement des publications. Ainsi, ces contributeurs sont incités à partager à tout moment des instants de leur vie. Lorsqu’ils postent des publications à toute heure du jour ou de la nuit, ils sont nécessairement amenés à s’interroger sur le contenu plurisémiotique qu’ils diffusent à leur communauté d’abonnés. Par exemple, les responsables politiques peuvent partager des photos ou des vidéos les mettant en scène à différents instants, ce qui peut les amener à oublier ou à feindre d’oublier l’existence d’une frontière entre vie privée et vie publique.
Cette recherche se propose d’envisager la construction identitaire des responsables politiquesaméricains et britanniques à travers leurs publications postées sur les RSN Instagram et X. Cette construction identitaire s’appuie sur l’activation d’un ethos socionumérique qui exploite les affordances des plateformes technologiques. Dans cette perspective, il s’agira d’analyser comment opère la transition entre intimité et extimité en fonction des contenus multimodaux et pluriosémiotiques produits par les contributeurs.
Références
AMOSSY, Ruth. 2010. La présentation de soi : ethos et identité verbale. Paris : Presses Universitaires de France.
CHARAUDEAU, Patrick. 2014. Le discours politique : les masques du pouvoir. Limoges : Lambert-Lucas.
CONSTANTIN DE CHANAY, Hubert et Laurence ROSIER. 2016. « Faces extimes sur Facebook : un point de vue « personnel » ». Cahiers de praxématique 66. https://journals.openedition.org/praxematique/4237.
FEKIR, Hakim et Alain RABATEL. 2021. « Conflit et discordance des voix dans la co- construction de l’image de soi projetée et l’image attribuée par autrui ». Cahiers de praxématique 76. https://journals.openedition.org/praxematique/7126.
LACAZE Grégoire. 2022. « Renouvellement paradigmatique dans l’analyse des discours numériques : le cas de la communication politique sur les RSN ». Études de Stylistique Anglaise 16. https://journals.openedition.org/esa/4816.
MAINGUENEAU, Dominique. 2014. « Retour critique sur l’éthos ». Langage et société 149 : 31-48.
WASON, Noah. 2022. “Algorithmic Dwelling: The Consequences of Ethos on Social Media Platforms.” PhD. New York: Syracuse University.
Nalbandian, Nancy
Doctorat, Université de Lorraine
De Sydney à Istanbul :Transitions culturelles, pragmatiques et stylistiques de la prison de Wentworth à Avlu
Television is the most powerful instrument ever created to reach the minds and hearts of man (Newton Minow, 1964: viii), and the analysis of television discourse reveals how language shapes our identities and socio-cultural beliefs (Bednarek, 2014:2). Several studies have been carried out on television and film language to investigate how similar and different TV language is from ‘real’ talk (Bednarek, 2010, 2011, 2012; Rodríguez Martín, 2010; Forchini, 2012). These studies lay the foundation for my presentation. Iwill draw inspiration from them and extend the focus to cross-cultural linguistic and pragmatic transitions in TV remakes. My presentation is going to investigate the cultural transitions between Australian and Turkish societies through a pragma-stylistic analysis of Wentworth, an Australian prison drama, and its Turkish remake, Avlu. Drawing on Brown and Levinson’s Politeness Theory (1978), I am going to compare how characters in Avlu and Wentworth employ positive and negative politeness and perform Face-Threatening Acts (FTAs) to explore how socio-pragmatic norms shape their communication styles.
Specifically, I am going to analyze speech acts such as requests, apologies, and commands to examine what their use reveals about Australian and Turkish socio-cultural values and linguistic politeness. For example, I will discuss how commands are the most frequent speech acts in Avlu, in contrast to Wentworth, because showing respect to authority is a central value in Turkish culture (McPherson, 2022:47). This presentation will address the following two questions: How are socio-cultural values pragmatically reflected in the Wentworth and Avlu characters? How are Australian and Turkish linguistic politeness manifested in these characters’ interactions? By exploring these questions, I aim to discuss how cultural transitions are manifested through television discourse.
Keywords: Cross-cultural analysis, prison dramas, Wentworth, Avlu, socio-cultural values, pragma-stylistic analysis, linguistic analysis, Speech Acts, Politeness Strategies, media studies, Australia, Turkey
Rouveyrol, Laurent
Professeur, Université Sorbonne Nouvelle
EA 4398 Prismes,
Laurent.rouveyrol@sorbonne-nouvelle.fr
« Le pouvoir en transition », analyse du débat présidentiel télévisé Trump-Harris
L’histoire américaine toute récente nous fournit un corpus de choix pour envisager les phénomènes de transition au niveau pragmatico-discursif. « L’événement communicationnel » – pour reprendre une expression chère à la CDA (Fairclough, 1995) – constitué par le débat présidentiel Harris-Trump était nécessairement situé dans un contexte sociétal complexe. La situation électorale inédite résidait dans le fait que parmi les deux candidats, aucun n’était au moment de la campagne dans les couloirs du pouvoir : le sortant avait déclaré forfait. Nos deux candidats jouaient donc à parts égales leurs chances d’entrer à la Maison Blanche. Au niveau individuel, il apparaît que D. Trump avait traversé de multiples identités sociales, depuis sa situation initiale de businessman, vers celle de présentateur de téléréalité, puis en tant que Président des Etats-Unis, de candidat battu pour devenir Président à nouveau. Kamala Harris, dans un autre registre, a également assumé plusieurs évolutions importantes, en tant que procureur d’une part, Vice-Présidente ensuite et enfin candidate au pied levé à la Présidence des Etats-Unis.
Cette communication propose de se focaliser sur les discours des deux candidats à la Présidence des U.S lors du débat télévisé du 10 septembre 2024. Plusieurs questions guideront notre étude de corpus. Il s’agira dans un premier temps d’identifier les traces éventuelles des différents rôles assumés précédemment par les deux participants : entend-on toujours la procureure Harris ? D. Trump reste-t-il l’animateur de téléréalité connu pour ces phrases chocs (Stefanatou, 2024) ? Dans un deuxième temps, nous tenterons, par une analyse logométrique intégrative, de mettre au jour les différents positionnements des deux participants tels qu’ils se réalisent dans leur discours, afin de comprendre leur « stratégie de transition vers le pouvoir ».
Fairclough, N., 1995, Media Discourse, Arnold.
Rouveyrol, L., 2005, « Vers une logométrie integrative des corpus politiques médiatisés. L’exemple de la subjectivité dans les débats-panels britanniques ». Revue Corpus, N°4, https://doi.org/10.4000/corpus.293.
Stefanatou, E., 2024, Mémoire de Master 2 : Le passage de la téléréalité à la politique : comment l’expérience de Trump a façonné son style de débat télévisé ».
Schneebeli, Célia
MCF, Université de Bourgogne
Centre Interlangues TIL – UR 4182
Responsable Master MEEF anglais
celia.schneebeli@u-bourgogne.fr
💀 : an emoji in transition? Function and meaning of the skull emoji in digital interaction
The Oxford English Dictionary defines an emoji as “a small digital image used to express an idea or emotion on social media, on the internet, in emails, etc.”. Emojis therefore belong to written digital discourse, but contrary to words they function as visual iconic signs, i.e., in Piercean terms, signs whose main characteristic and function is to present a visual resemblance to the object they stand for. This doesn’t mean the relationship between an emoji and its object is always just merely iconic. As Halté 2020 remarks, emojis are also often used as indexical signs, referencing speaker’s feelings and attitudes. The skull emoji, , is a good illustration of this dual functioning of emojis as icons and potential indexes. Indeed, it was “first initially commonplace around Halloween each year after its introduction [in 2010]” and it was used in posts “relating to death or scary things” according to the reference website knowyourmeme.com, which is devoted to “researching, documenting and explaining memes”.
However, according to Robertson et al. 2021, the skull emoji underwent a major change in meaning and use in 2013, when it started to be used as an expression of amusement, hyperbolically meaning that the speaker is dead from laughing. The dual function of the skull emoji is now fully acknowledged on Emojipedia.com, the reference online encyclopedia for emojis, where the skull emoji is currently featured in two categories, the “Halloween” category (alongside the Jack-O-Lantern, Ghost, or Spider, emoji), and the “laughing” category (alongside the face with tears of joy, rolling on the floor laughing and loudly crying face emoji).
The main research question of this study is therefore: How is the skull emoji currently used in digitally mediated interaction? Does it retain its original iconic function? What feelings does it index? Does it have other functions and uses? To address these questions, I use a combination of qualitative and quantitative methods to explore patterns of use of the skull emoji in a corpus of 200 comments posted on YouTube videos.
References
Halté, P. (2020) Emojis, émoticônes, smileys ? Proposition de classement terminologique selon des critères sémiotiques et énonciatifs. Interface numériques, 8.
Kostadinova-Stojchevska B., & Shalevska, E. (2024). The Skull Emoji in Gen-Z Internet Slang: A
Study of its Use as Tone Tag and Punctuation. International Journal of Education Teacher, 27.
Robertson, A., Liza F. F., Nguyen D., McGillivray B., & Hale S. A. (2021) Semantic Journeys : Quantifying Change in Emoji Meaning from 2012-2018. 4th International Workshop of Emoji Understanding and Applications in Social Media 2021.
Shardlow, M., Gerber, L., & Nawaz, R. (2022). One emoji, many meanings: A corpus for the prediction and disambiguation of emoji sense. Expert Systems With Applications, 198.
Weissman, B. (2023). The Lexicon of Emoji? Conventionality Modulates Processing of Emoji.
Cognitive Science: A Multidisciplinary Journal, 47:4.
Vaccariello, Laura
Docteure (LERMA – ED354), Contractuelle second degré (DEMA – ALLSH), Aix Marseille Université
Extraposition et amplification propositionnelle à droite en it : constructions phrastiques au service des transitions discursives
Cette communication s’intéresse à deux constructions phrastiques qui, bien que souvent amalgamées en raison de leur apparence formelle similaire, diffèrent significativement dans leur fonctionnement : l’extraposition et l’expansion ou amplification propositionnelle à droite en it. Si la première est largement reconnue sous cette appellation, la seconde est habituellement qualifiée de « dislocation à droite », une terminologie que j’ai réfutée dans ma thèse de doctorat.
Je propose une analyse s’inscrivant dans le cadre de la grammaire interactionnelle, mobilisée par des linguistes tels que A-S. Horlacher (2005, 2007) ou S. Pekarek Doehler et al. (2005) dans leurs recherches sur la « dislocation à droite » en français. À l’instar de A-S. Horlacher (2007 : 132), qui conçoit la grammaire comme « un processus langagier dynamique et malléable », cette étude adopte une perspective selon laquelle les constructions syntaxiques sont envisagées comme des outils adaptatifs.
Ainsi, après avoir brièvement précisé les critères de distinction entre l’extraposition et l’expansion propositionnelle à droite en it, cette communication visera à examiner leur contribution à la gestion des tours de parole. L’analyse portera sur deux dimensions clés : la transition entre locuteurs et la transition entre topiques conversationnels.
De manière plus spécifique, cette communication se propose, d’une part, de montrer, à travers l’étude d’exemples principalement tirés de séries télévisées, comment l’extraposition peut être utilisée pour introduire un nouveau topique conversationnel, un rôle que G. Kaltenböck (2004 : 232) qualifie de discourse opener, ou, au contraire, pour clôturer une conversation, fonction désignée par le même auteur comme discourse closer (2005 : 139). D’autre part, elle mettra en lumière les fonctions discursives des expansions propositionnelles à droite en it, notamment leur rôle dans la gestion du tour de parole, la clôture des échanges, ainsi que ce qu’A.-S. Horlacher (2007 : 126) désigne comme un « rôle de remplissage », à savoir le comblement des blancs ou silences dans les interactions.
En somme, cette communication cherchera à démontrer que ces deux constructions jouent des rôles distincts mais complémentaires dans l’organisation interactionnelle et, dans certains cas, peuvent être construites de manière spontanée en réaction aux éléments discursifs fournis par l’interlocuteur et/ou au contexte.
Références
APOTHELOZ, Denis. « Les dislocations à gauche et à droite dans la construction des schématisations ». Logique, discours et pensée. Mélanges offerts à Jean-Blaise Grize., édité par Denis Miéville et Alain Berrendonner, Berne, Peter Lang, 1997, p. 183-217.
ASHBY, William J. « The syntax, pragmatics, and sociolinguistics of left- and right-dislocations in French ». Lingua, vol. 75, n° 2-3, 1988.
HORLACHER, Anne-Sylvie. « La dislocation à droite comme ressource pour l’alternance des tours de parole : vers une syntaxe incrémentale ». Travaux Neuchâtelois de Linguistique, no 47, 2007, p. 117-36.
HORLACHER, Anne-Sylvie. La dislocation à droite revisitée. Une approche interactionniste. Bruxelles, De Boeck, 2015.
KALTENBÖCK, Gunther. It-Extraposition and Non-Extraposition in English. A Study of Syntax in Spoken and Written Texts (Austrian Studies in English 90). Vienne, Wilhelm Braumüller, 2004.
KALTENBÖCK, Gunther. « It-extraposition in English: A functional view ». International Journal of Corpus Linguistics, vol. 10, n°2, 2005, p. 119-159.
KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine. Les actes de langage dans le discours : Théorie et fonctionnement. Paris, Armand Colin, 2010.
PEKAREK Doehler, Simona, Elwys de Stefani et Anne-Sylvie Horlacher. « The grammar of closing: the use of dislocated constructions as closing initiators n French talk-in-interaction ». Nottingham French Studies, vol. 50, n°1, 2011, p. 51-76.
SCHEGLOFF, Emanuel A. Sequence Organization in Interaction. A Primer in Conversation Analysis. Cambridge, Cambridge University Press, 2007.
Zhao, Junhao
Doctorat,
Junhao.Zhao.Etu@univ-lemans.fr
Le moment de Möbius dans l’œuvre de Nabokov : transitions du récit de surface au récit en ombre dans Lolita, Pale Fire et Ada or ardor
I like to fold my magic carpet, after use, in such a way as to superimpose one part of the pattern upon another. Let visitors trip.
-Vladimir Nabokov, Speak, Memory
Les lecteurs passionnés par les énigmes et les défis inhérents à la lecture des textes complexes de Nabokov relisent souvent ses œuvres en raison de la coexistence, au sein d’un même récit, de deux histoires parallèles mais contradictoires. La première, explicite et apparemment facile à comprendre, est un récit de surface qui contient pourtant des incohérences manifestes. Dans ce récit de surface, Lolita séduit Humbert, complote avec Quilty pour le duper, et finit par l’abandonner ; le poète Shade, inspiré par les souvenirs de Kinbote concernant son pays natal, Zembla, compose son long poème Pale Fire avant d’être assassiné par un révolutionnaire zembliens ; enfin, Ada et Van, bien qu’entravés par des considérations éthiques et soumis à une séparation nécessaire, vivent néanmoins une vie heureuse ensemble.
Cependant, dans un second récit, implicite, dissimulé et fragmentaire, que l’on pourrait qualifier de « texte en ombre », une toute autre vérité se dévoile : Humbert assassine Charlotte Haze, la mère de Lolita, avant de kidnapper cette dernière ; Shade tolère avec indulgence et curiosité la surveillance obsessionnelle et les fantasmes de Kinbote avant d’être tué par un patient psychotique new-yorkais ; enfin, le rejet cruel et les manipulations d’Ada et Van envers Lucette conduisent cette dernière au suicide. Comme indiqué dans notre épigraphe, ce n’est pas tant la transgression ou la cruauté qui constitue le thème central des textes de Nabokov, mais plutôt la superposition de ces deux « patterns » narratifs. À l’instar des illusions spatiales créées par un miroir, où une glace occupant tout un mur double la perception de l’espace, les deux récits utilisent les mêmes codes narratifs, mais démultiplient la perception que le lecteur a de l’espace fictionnel.
Mais à quel moment précis le texte commence-t-il à suggérer cette division et à esquisser les contours du texte en ombre ? Les lecteurs attentifs remarquent, à leur grande surprise, que dès les premières pages du récit de surface, le texte en ombre laisse déjà apparaître ses traces. L’expérience de lecture n’est donc pas bouleversée par un moment précis de révélation, mais résulte d’une tresse narrative où les deux « patterns » sont imbriqués dès le départ. Les deux histoires ne forment pas les deux faces d’une feuille de papier : elles constituent un ruban de Möbius, où le recto et le verso se fondent en une surface continue, offrant au lecteur une progression sans entraves. Ainsi, le moment clé de transition fatale n’est jamais localisé : il est omniprésent, survenant en tout lieu et à tout instant.
Cette fluidité dans la transition narrative ouvre des perspectives méthodologiques fascinantes. Parmi les techniques narratives qu’elle inspire figurent la cryptographie narrative, la négation (ou les contradictions intentionnelles dans le récit), l’exposition délibérée par le narrateur de sa propre non-fiabilité, ainsi que la polyphonie. Les effets produits par ces procédés ou les intentions qu’ils réalisent constituent autant de sujets d’analyse : révéler l’intersubjectivité et le mystère de l’esprit humain, concevoir des jeux narratifs engageant activement le lecteur, ou encore innover dans la spatialité narrative et les structures topologiques du récit. Ces thématiques seront au cœur de notre exploration des trois romans de Nabokov lors de la communication.
Références
DELEUZE, Gilles & GUATTARI, Félix. Capitalisme et schizophrénie 2 : Mille plateaux. Paris : Les édition de minuit, 1980.
GENETTE, Gérard. Figures III. Paris : Seuil, 1972.
NABOKOV, Vladmir. Ada or Ardor: A family chronicle. London : Penguin books, 1971.
NABOKOV, Vladmir. Pale fire. London : Penguin Books, 2010.
NABOKOV, Vladmir. The Annotated Lolita. London : Penguin books, 1980.
RYAN, Marie-Laure. Narrative as Virtual Reality: Immersion and Interactivity in Literature and Electronic Media. Baltimore : Johns Hopkins University Press, 2003.